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Loïck Peyron : « La Transat anglaise a tout changé »
Triple vainqueur de la Transat anglaise, deux fois en multicoque, une fois en monocoque, Loïck Peyron, 64 ans, garde d’excellents souvenirs de la mère des transats, devenue The Transat CIC entre Lorient et New York.
The Transat CIC (Lorient - New York), départ le dimanche 28 avril
Pourquoi cette transat reste une référence ?
Loïck Peyron : Parce que c’était la première, déjà. En 1960, on a vu débarquer cette transat organisée par le fameux Blondie Hasler qui a pris le départ : ils n’étaient que cinq sur la première. Moi, je venais de naître. Ensuite, la France a découvert ce qu’était cette transat grâce à un certain Éric Tabarly qui gagne la deuxième édition. Il montre à nous tous que la voile est un sport, non pas réservé à des yachtmen mais à des athlètes qui prennent un malin plaisir à être seul en mer, à régater et à gagner des courses.
La victoire de Tabarly a tout changé selon vous ?
En 1964, les Français découvrent la mer et le large grâce à lui. Au même moment, en France, il y a l’école des Glénans, la voile se démocratise, les premiers bateaux en plastique arrivent. D’ailleurs, sur la deuxième édition de la Transat anglaise, il y avait le premier bateau en plastique, c’était un Golif. Cette année-là, la France découvre non pas la mer mais le fait qu’il n’y a pas que des marins-pêcheurs, des marins de commerce ou des militaires à aller sur l’eau, les Français découvrent la plaisance. Dans les années 60, on dessine le Concorde, on fabrique des centrales nucléaires et des autoroutes, on a aussi envie de battre les Anglais sur un terrain où ils dominent depuis des siècles, à savoir les océans.
Sans cette transat et les deux victoires d’Éric Tabarly, pensez-vous que la course au large serait ce qu’elle est aujourd’hui en France ?
Éric Tabarly a eu une profonde influence, non seulement dans l’architecture navale mais aussi dans la manière d’aborder ce sport en solitaire. Avant lui, on avait des yachtmen anglais qui se servaient un petit thé à 17 h, qui dormaient toute la nuit dans le duvet si les conditions météo le permettaient, alors qu’Éric Tabarly a régaté sur l’Atlantique, à envoyer des spis en solitaire. Il était très nettement au-dessus de la mêlée. En 1964, il n’y en avait pas un qui lui arrivait à la cheville, et encore moins par la taille de son Pen Duick II de 14 mètres de long construit en contreplaqué au chantier Costantini, à La Trinité. Mais ça a changé la face de notre petit monde, de notre petit village voile, qui est devenu au fil des temps, grâce à Tabarly d’abord, ce qu’il est aujourd’hui. C’est-à-dire le leader dans le monde de la course au large en équipage réduit. Cette transat a tout changé.
Les solitaires affirment que c’est la transat la plus difficile : pour quelle(s) raison(s) ?
Je ne pense pas qu’il y ait des transats faciles et d’autres difficiles. Il est vrai que, dans le Nord, les conditions sont plus fraîches, qu’on passe par Terre-Neuve, qu’on a du courant dans le nez, qu’on va contre les vents dominants mais, globalement, je ne pense pas que ce soit plus dur qu’une Route du Rhum. Ok, tu termines la Route du Rhum dans les alizés chauds mais tu dois être extrêmement vigilant avec les grains. Historiquement et statistiquement, je me demande même s’il n’y a pas eu plus de chavirages sur le Rhum que sur la Transat anglaise. Toutes les transats, surtout celles que l’ont fait sur des bateaux casse-gueule comme les multicoques, sont difficiles. Bon, la transat anglaise, tu fais du près mais les bateaux d’aujourd’hui sont moins inconfortables qu’ils ne l’étaient grâce aux pilotes automatiques.
Onze victoires tricolores en quatorze éditions : comment expliquez-vous une telle domination française sur une transat née anglaise ?
Il n’y avait aucun Français sur la première édition, deux sur la deuxième. Si je ne me trompe pas, la dernière victoire anglo-saxonne remonte à 1980, avec le succès de Phil Weld sur multicoque sur Moxie. Après, il n’y a que des victoires françaises car 90 % des partants étaient français. On a cette culture du solitaire, on a la maîtrise de la construction des bateaux. Heureusement, on a des étrangers qui reviennent sur cette transat, comme l’Allemand Boris Herrmann. D’ailleurs, il y avait tellement de Français au départ que les Anglais ont limité la taille des bateaux à 60 pieds (18,28 m) : quand ils ont vu Alain Colas débarquer avec son monstre (NDLR : les 72 m de « Club Med ») en 1976, ils ont pris peur. Mais c’est d’ailleurs toujours un problème, on a trop de Français à gagner des courses en solitaire, ce serait bien qu’un étranger gagne le Vendée Globe par exemple.
Plymouth de 1960 à 2016 et maintenant Lorient : ça change quoi ?
Ça change tout pour moi. C’est comme le Paris-Dakar qui ne part plus de Paris et ne va plus à Dakar : on l’appelle toujours le Paris-Dakar. Si tu déplaces le château de Versailles à Tokyo, ce n’est plus le château de Versailles. En 1981, j’ai 21 ans, c’est la première fois que je découvre Plymouth, il y a encore les mines de charbon sur le quai. J’ai eu la chance de vivre ça et je n’ai jamais pris le départ d’une seule Transat anglaise ailleurs qu’à Plymouth. La dernière fois, en 2016, j’y suis allé avec le Pen Duick II d’Éric Tabarly (NDLR : il avait dû rebrousser chemin à mi-parcours).
Newport, New York, Boston : laquelle de ces villes est la plus magique pour une arrivée ?
L’arrivée fut souvent jugée à Newport mais en 2008, quand je gagne en Imoca Sur Gitana Eighty, l’arrivée était à Boston. Je n’ai pas fait New York mais une arrivée là-bas, ça a de la gueule. C’est la symbolique américaine et je trouve ça jolie. Quand tu arrives sous le pont de Verrazzano, c’est impressionnant et assez incroyable. Newport est chargé historiquement de Coupe de l’America mais très peu de course offshore.
Comment réagit le public américain aux arrivées de transats européennes ?
Quand tu arrives aux États-Unis, il n’y a personne, il n’y a aucun intérêt local pour ce qu’on vient de faire et je pense qu’il n’y en a pas plus aujourd’hui. Quand tu arrives, tu as quelques journalistes français qui te disent bravo et, très vite, un douanier qui te demande 50 dollars pour avoir le droit de poser le pied sur le sol américain. En 1996, je gagne et, au moment où je passe le long des docks de Newport, j’entends une ovation de dingue, un truc incroyable avec des milliers de personnes, comme si on était au départ d’un Vendée Globe. Le bruit était dingue et, en y regardant de plus près, je me rends compte que, parmi les milliers de personnes qui hurlaient, aucune ne regardait dans ma direction (rires). Elles étaient toutes dos à la mer et regardaient les Summer X Games (NDLR : compétition annuelle de plusieurs sports extrêmes). Notre sport qu’est la voile n’a souvent aucun impact à l’endroit où il arrive.
1992, 1996 et 2008 : quelle est la plus belle de vos trois victoires ?
Il n’y a pas de hiérarchie. Ce qui est beau, c’est la trilogie. Tabarly en avait gagné deux, moi trois. Cela ajoute un peu de poids à mon histoire personnelle. Je ne m’en vante pas tous les jours mais j’en suis très fier. Notamment d’avoir réussi cela sur deux supports très différents. La dernière victoire en monocoque Imoca était belle car je suis arrivé de nuit à Boston avec un passager clandestin, Vincent Riou, que j’avais sauvé car il était en train de couler, trois jours plus tôt, sous Terre-Neuve.
Si c’était à refaire, vous repartiriez sur cette transat à la barre d’un trimaran Orma ?
Ah non ! Je n’aime pas dire que c’était plus dur avant mais là, en l’occurrence, ça l’était. C’était beaucoup plus casse-gueule que ça ne l’est aujourd’hui. Ces cinq-dix dernières années, les pilotes automatiques ont énormément progressé, en multi comme en mono. Aujourd’hui, il y a beaucoup moins d’angoisse à naviguer sur un multicoque mais aussi sur un monocoque. Si on ajoute les systèmes de largage d’écoutes, tu peux aller dormir sereinement, ce qui n’était pas le cas avant. J’ai traversé 35 fois l’Atlantique et j’en ai connu des moments chauds. Ce n’est pas pour rien si j’ai autant de cheveux blancs aujourd’hui.
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